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La démarche de Rémy Héritier se situe d’abord à un niveau très simple, ancrée dans l’expérimentation: la danse comme un acte. C’est seulement à partir de cette simplicité qu’il envisage de tisser des mises en relations plus complexes avec une écriture chorégraphique qui produise du sens au-delà des éléments séparés qui la composent.
Avec Chevreuil, il construit son projet de recherche chorégraphique autour de deux notions principales: contexte et archéologie. Celles-ci forment des directions de travail plutôt que des questions à résoudre de façon directe. La recherche n’est ainsi pas thématisée, ni réduite à ces deux problématiques. Chevreuil n’est pas une pièce sur l’histoire de la danse par exemple ni même sur la vie des lieux dans lesquels la pièce a pris forme.
Ce qui dans la notion de contexte intéresse Rémy Héritier c’est d’établir un mode de travail qui tente de tenir compte de l’extérieur, proche et lointain.
L’archéologie quant à elle retient son attention car elle est une science qui, en interrogeant le contexte d’apparition d’un objet trouvé, renvoie aussi à l’idée d’un empilement successif, comparable au processus de socialisation du corps, à l’incorporation. Avec Chevreuil, il est donc question d’empilements d’expériences mais également de conflits entre ces expériences. Comment ces conflits orientent-ils les choix d’écriture (du chorégraphe) et d’interprétation (des danseurs)?
Comme point de départ d’une archéologie, l’équipe s’est intéressée aux Ballets Russes, en faisant l’hypothèse que si, depuis leurs places de danseurs et de chorégraphe en 2008, ils fouillaient les ruines mémorielles de ce qui est entendu comme la première modernité en danse, ils passeraient au travers d’un siècle de danse, de choix, de contextes, pour mettre à jour et en dégager à la fois les survivances et les conflits. Aussi, une fois la pièce aboutie, les Ballets Russes n’ont presque plus d’apparences visibles. Chevreuil apparaît ainsi comme l’articulation des documents exhumés et inventés par ce travail. Son écriture chorégraphique fait cohabiter deux régimes de représentation, celui qui montre un document et celui qui le présente. Un document étant tout autant une source que le résultat d’un processus de création.

L’entretien qui suit documente le processus de création de la pièce. Il a été réalisé en deux temps (entre septembre/octobre 2008, puis janvier/février 2008).

#1 - septembre 2008

Yvane Chapuis
Comment es-tu arrivé à ce titre, Chevreuil?

Rémy Héritier
Jusqu’à présent, un titre n’a jamais été le déclencheur d’une pièce tel qu’il peut l’être pour des écrivains par exemple qui ont un titre en tête contenant en germe tout ce qu’ils vont écrire par la suite. Trouver un titre n’est jamais une chose évidente pour moi parce que je suis partagé entre l’idée que je n’en ai pas besoin trop tôt dans le travail et la sensation qu’en avoir un permet de rassembler le projet autour de quelque chose de concret. Concret pour mes collaborateurs d’une part, et aussi pour éviter de traîner des formules comme «prochain projet» trop longtemps. Cette hésitation dure longtemps, trop longtemps je pourrais même dire. Je fais des listes de titres possibles qui sont pour la plupart des descriptions sommaires de ce que pourrait être la pièce. Je sais toujours qu’ils ne recouvrent pas ce que je cherche, mais cela fait partie du processus.
Chaque fois que j’ai à titrer une pièce, je me retourne systématiquement vers le titre du projet précédent en me demandant comment j’en étais arrivé là, s’il faut que je reprenne une trajectoire similaire pour arriver à un titre, etc. Au fil des années, la liste des projets titrés s’allonge un peu plus et je prends conscience que mis les uns à la suite des autres ils inscrivent (aussi) une perspective sur le travail. Une perspective relativement importante parce qu’ils sont écrits et qu’ils restent donc inscrits. En ce sens, les titres seront plus regardés que les pièces.
Choisir un titre est donc le résultat d’un processus au même titre que les séquences qui composent une pièce. Chevreuil sans article et au singulier participe pour moi d’un processus d’abstraction, «chosifier» un être vivant, ne pas pouvoir l’associer à ce que l’on voit sur le plateau. C’est aussi et surtout par conséquent rendre le chevreuil paradigmatique de «cette chose» dont on ne sait précisément d’où elle vient ni où elle va. Cette chose qui fait partie du monde mais dont on ne connaît d’elle que le surgissement. Voir un chevreuil dans les phares d’une voiture est une expérience partagée par tous ou presque et c’est une expérience du surgissement. Une expérience du présent vécue chaque fois comme une chance, celle d’avoir vu un morceau de nature sauvage à peu de frais.
Finalement, le titre Chevreuil est arrivé après avoir répété plusieurs fois d’affilée l’expérience du chevreuil dans les phares d’une voiture dans l’État de Washington aux États-Unis. L’État de Washington est la maison mère du grunge et de Nirvana. In Utero a été enregistré par le producteur et musicien Steve Albini qui a aussi enregistré le duo guitare-batterie français Chevreuil. Mon titre est donc un emprunt.
Ce n’est pas seulement une histoire un peu exotique pour romancer tout ça. Ça prend une place relativement importante dans certaines couches de mon travail. «Ça» étant mon rapport à des expériences fortes de l’adolescence: tourner en voiture dans les forêts du côté d’Astoria, Aberdeen ou Sarajevo a un lien avec les formes que je produis. Tu m’avais d’ailleurs parlé d’adolescence après une représentation d’Atteindre la fin du western.
Si je suis satisfait par ce titre c’est pour ces raisons autant que par le pouvoir d’association qu’il me permet. Je suis satisfait que Chevreuil me fasse associer Faune et que de proche en proche ce titre me donne à travailler concrètement des notions voisines tel que la marque, la signature, l’archéologie, la ruine. Chevreuil s’associe à Faune et donne une tangibilité à ces notions en même temps qu’un terrain d’étude et de réalisation.

YC
Lorsque j’ai vu Atteindre la fin du western, la pièce m’est en effet apparue comme une image poétique de ce moment périlleux de l’existence qu’est l’adolescence. Périlleux parce qu’il correspond à une phase de transition, en l’occurence entre l’enfance et l’âge adulte, au cours de laquelle s’effectue la découverte, l’épreuve sans doute, de la responsabilité. Désormais «je» est une voix qui compte.
Ce qui me conduit à parler d’image poétique, c’est que rien à l’intérieur de la pièce ne renvoie explicitement à l’adolescence. Ni figure, ni récit qui ne lui soit directement lié. Celle-ci se dessine à partir du seul traitement des éléments constitutifs du spectacle: scène, lumière, son, décor et performeurs.
Le traitement du plateau par exemple est significatif. Régulièrement vide, éclairé en plein feu, il s’offre au regard comme l’ouverture d’un espace à investir. Vide, il appelle à se remplir et en cela marque un seuil, un passage vers un autre état.
Les relations entre les protagonistes, tendres et indifférentes à la fois; leurs gestes également graves et ludiques; leurs déplacements plutôt en obliques qu’en ligne droite, sont autant d’éléments qui établissent un type de présence non déterminée, ou qui est en cours de détermination, précisément comme l’est l’âge adolescent.
Mais revenons-en à la relation que tu établis entre Chevreuil et Faune. Est-elle formelle: les pieds de chèvre? Est-elle aussi chorégraphique: Nijinski? 
Est-ce par là que passe le chemin qui te conduit jusqu’à la signature, l’archéologie, la ruine? Pourrais-tu déplier la manière dont s’effectuent ces associations et ce que recouvre pour toi marque, signature, archéologie et ruine?

RH
Le lien formel «des pieds de chèvre» n’est pas celui sur lequel je m’arrête consciemment, je passe directement au lien chorégraphique des Ballets Russes, plus qu’à Nijinski d’ailleurs. C’est par là que je peux dire deux ou trois choses concernant les associations, mais cela me conduit très en amont dans l’élaboration d’un projet. 
Je prends conscience que je commence à travailler sur un projet au moment où je me rends compte que des centres d’intérêt, le plus souvent nommés sous forme de notions plutôt abstraites, qui n’ont pas de lien a priori avec le chorégraphique et qui semblent être séparées et à distance les unes des autres, peuvent être reliées par la création d’une pièce. Quand je dis reliées, c’est-à-dire que la mise en rapport de ces notions qui ne sont pas encore des questions chorégraphiques me permet d’imaginer qu’il y a là une possibilité de création.
Je dois revenir maintenant aux raisons, objectives ou non, qui me stabilisent sur le choix de ces notions. Pour la plupart, c’est simplement la satisfaction intellectuelle directe qu’elles m’apportent. Je prends simplement plaisir à y réfléchir. Pour les autres, le choix s’effectue de manière plus arbitraire car je n’ai qu’une idée floue de ce dont il s’agit. Certaines découlent d’un travail précédent et d’autres semblent inédites pour moi. Inédites à l’intérieur de mon travail, mais pas forcément dans l’histoire de l’art!
Pour Chevreuil, j’ai listé en décembre 2007 les notions suivantes: traduction, obstruction, jonction, durée, contexte. Avec ça on ne fait pas grand-chose, pourtant pour moi c’est très éclairant. Très éclairant car c’est le point de départ d’un certain nombre d’associations. Association sur un mode relativement objectif, au sens où ce n’est pas fait sur le mode de la «libre association». Refaire le parcours des différentes associations me demanderait de faire ici l’archéologie d’un travail en cours. Je ne vais pas le faire dans le détail. Les associations sont les articulations nécessaires pour rendre l’enjeu du projet communicable à ses collaborateurs. Dans le même temps, ces articulations sont susceptibles d’apporter des éléments très concrets et même de la matière.
Je peux tenter de mettre à jour une chaîne d’associations, en faisant quand même de grands sauts. En partant de «traduction» nous sommes arrivés à nous questionner sur ce que serait «traduire la traduction», de là nous avons réalisé que «traduire la traduction» mettait à jour une altération et le parcours de cette altération. Puis la notion d’Histoire à fait surface, de là l’envie de «mettre à jour» l’Histoire. Mettre à jour c’est autant «to update» que révéler. De là la lecture d’Agamben, Signatura rerum – sur la méthode me conduit vers l’archéologie qui est la science des ruines. Archéologie et contexte font partie de la même famille. «Archéologie» est sur le point de remplacer «traduction» dans les recherches que nous sommes en train de mener pour Chevreuil.
Concrètement, Chevreuil et Faune s’associent chorégraphiquement car le Faune et son inscription dans l’histoire de la danse et du XXe siècle peut nous diriger vers une archéologie concrète, au moins pour accéder au palier de déblayage suivant. Ces prochaines semaines, le travail physique pourrait être maintenant de dégager les signatures, les marqueurs du Ballet Russe, ce qui reviendrait à fouiller les ruines du ballet russe pour ne garder que ces signatures. Qu’est-ce qui est paradigmatique du ballet russe? Les mains, les sauts, l’utilisation de l’espace, etc.? La première fausse bonne idée qui vient serait de composer des danses uniquement à partir de ces marqueurs. Mais que se passe-t-il entre deux sauts si l’on n’est pas Nijinski?

YC
Quelles sont les sources à partir desquelles vous travaillez en ce qui concerne les Ballets Russes et l’Histoire?

RH
La chaîne d’associations en question partait de la notion de traduction dont la source est directement liée au livre d’entretiens Who Sings the Nation-State? entre Judith Butler et Gayatri Chakravorty Spivak. Dans ce texte, il est question de la situation des sans-papiers des communautés hispaniques de Los Angeles ayant manifesté pour obtenir des droits, en 2006 me semble-t-il. Ils ont exercé le droit à manifester à l’endroit où ils n’avaient même pas le droit d’être. Ce qui en soi est déjà à remarquer. Lors de ces manifestations, et pour attester de leur appartenance à la nation américaine, ils ont chanté l’hymne américain traduit en espagnol. C’est précisément cette traduction qui a été cruciale, car Bush a dû trancher sur la possibilité ou non de chanter l’hymne américain dans une autre langue que l’anglais. La réponse a été qu’il n’est pas possible de chanter l’hymne américain dans une autre langue que l’anglais. C’est cette question de la traduction que j’ai mise en jeu en avril dernier, en proposant à Yannick Guédon et Éric Yvelin de travailler à l’intérieur d’un système de relais 24 heures durant à partir de l’énoncé «traduire la traduction».
C’est au cours de cette expérience que nous avons découvert que pour rendre lisible cet énoncé il fallait répondre dans un mode où l’on donne à voir un référent, une traduction, et une traduction de cette traduction. Ce qui nous intéressait là était le parcours d’altération d’un point à un autre. Ce parcours m’a conduit à envisager qu’il y avait un intérêt à chercher autour du concept d’Histoire. En juillet dernier, j’ai donc proposé à Aude Lachaise et Ondine Cloez de chercher sur ce même principe de relais intensif, sur 12 heures cette fois-ci, et de mettre en travail ce que serait «mettre à jour de l’Histoire». De là sont sorties des propositions autour de la notion d’académisme.
Que pouvait être pour nous une danse composée d’académismes? Je pensais que les académismes étaient la partie la plus visible ou reconnaissable de l’histoire de la danse. Mais cela a tourné un peu court car nos propositions n’ont produit que des suites de gestes ou mouvements dont l’interprétation était difficile à négocier. Nous nous sommes arrêtés là car je n’étais pas en mesure de réagir suffisamment aux différentes propositions. À ce moment-là j’ai lu Signatura Rerum – Sur la méthode, où il est question de la notion de paradigme, de signature, d’archéologie. En me retournant vers ce que nous avions fait, je me suis dis que j’avais besoin d’une stabilité à partir de laquelle travailler ces questions, non pas pour m’y fixer a priori mais plutôt pour avoir quelque chose de concret sur lequel revenir. Sans document et seulement avec mes connaissances très confuses en histoire de la danse, j’ai décidé (seul) que pour nous la pièce paradigmatique de la première modernité en danse serait Prélude à l’après-midi d’un faune. La pièce en création s’intitulant Chevreuil, entre Faune et Chevreuil la différence étant mince, la piste est donc validée! En revanche, je réalise vite que je n’ai pas grand intérêt à m’intéresser à une seule pièce mais davantage à une constellation, ce sera donc les Ballets Russes. Je ne sais pas grand chose des Ballets Russes, et je n’ai a priori pas envie de mener un travail de recherche minutieux pour en savoir davantage. Je me limite à ce que j’entends, ce que je peux lire dans le Dictionnaire de la Danse de Ph. le Moal, aux informations données par les versions française et anglophone de Wikipedia, aux souvenirs d’un extrait du Faune dansé par Loïc Touzé lorsque nous répétions Love en 2003 et d’une photo d’Emmanuelle Huynh dans une supérette lors du remontage de la pièce par le Quatuor Knust (1). C’est à peu près tout. Ce ne sont que mes propres référents sur le sujet et ils grossissent à mesure que j’y pense. Les six autres artistes impliqués dans le projet ont les leurs. La confrontation va pouvoir nous permettre d’établir une typologie spécifique. Cette typologie va je l’espère nous renseigner sur comment avancer sur les questions d’archéologie et d’Histoire notamment.
Cecchetti a enseigné dans la compagnie de Diaghilev, il se trouve que c’est l’unique technique classique avec laquelle j’ai été en contact, via l’enseignement de Janet Panetta. Ces jours-ci, j’essaie de faire passer mes mouvements à travers le filtre Cecchetti, et observer avec quoi cela me met en contact. Est-ce qu’une pratique très lointaine peut me permettre de trouver un axe de réactivité physique en tant que chorégraphe?
En amont de tout ça, la lecture du chapitre consacré à Foucault dans le livre de Richard Shusterman, Conscience par corps: pour une soma- esthétique, m’avait déjà, d’une part, mis en éveil sur les enjeux de l’archéologie (plus par association de connaissance que par ce que l’on peut trouver dans le livre lui-même) et d’autre part sur ces questions physiques de «connaissance par corps» longuement traitées par Bourdieu dans les Méditations pascaliennes. Ce dernier livre me suit depuis Atteindre la fin du western d’ailleurs. Cette «connaissance par corps» a à voir avec ce que contient le corps sous la forme de couches qui ressembleraient à des couches géologiques, et qu’il est à même de restituer en les traversant uniquement ou quasi uniquement par des procédés qui impliquent des modalités physiques. C’est aussi un poncif de la danse contemporaine pour lequel je me découvre beaucoup d’intérêt. Tu peux voir qu’il s’agit d’une constellation de sources, en ce sens qu’il ne s’agit pas de travailler «sur» des sources mais «avec» elles. Cette distinction est importante pour moi, parce que je crains que l’on puisse assigner le travail à une recherche «sur». Cette crainte correspond à mon désir d’être «compris», non pas dans la volonté d’un «art univoque» mais parce qu’il me paraît nécessaire de faire la différence entre l’adhésion à une source et la réception d’un spectacle au regard de cette même source.

YC
Tu mentionnes Love que Loïc Touzé a créé en 2003 et le Faune qu’il interprète dans le cadre de la réactivation de la pièce de Nijinsky par le Quatuor Knust en 2000. Or l’une des premières images qui m’a traversé l’esprit quand j’ai lu pour la première fois ce titre, Chevreuil, c’est cette figure de bête à cornes que tu interprétais précisément dans Love. Ma question concerne à nouveau celle des sources, effectivement comme couches constitutives. Que conserves-tu du travail que tu as mené avec Loïc Touzé? Plus généralement, quelles sont selon toi les expériences fondatrices de ta formation en danse?

RH 
Au moment où j’ai fait le «cerf» dans Love (c’est ainsi que nous nommions cette séquence), je faisais aussi le chat et le chien dans This is an Epicde Jennifer Lacey. Cette figure du cerf qui faisait partie d’une séquence plus longue est un apport personnel. 
Je retiens de mon expérience avec Loïc une très 8 grande précision de la danse et du mouvement. Je conserve même une forme d’admiration pour cette connaissance physique qui se déploie dans d’autres champs. Il formule des questions chorégraphiques dont les résolutions arrivent toujours par la danse. Il y a chez lui je pense l’incarnation de cette fameuse «connaissance par corps». Ma formation a été très rapide, j’ai découvert la danse en 1997 et fin 1999 je travaillais déjà avec Mathilde Monnier. J’ai en fait commencé de danser en suivant des ateliers avec Mic Guillaume, qui est chorégraphe et surtout pédagogue. Dans son enseignement les questions de l’in situ étaient très présentes. C’est quelque chose qui l’est encore pour moi, même si je ne fais pas à proprement parler de pièces in situ. L’endroit où l’in situ se localise sur la fonction occupée par le danseur au sens où, si l’on définit la présence en deux grandes catégories, il y aurait d’un côté le danseur/performeur qui est le centre de l’événement, c’est à dire que toute la compréhension passe par lui; et d’un autre côté le performeur qui est un des centres de l’événement, sa fonction étant de servir de surface de rebond entre les différents centres et donc de faciliter et permettre la lecture pour le spectateur. C’est ce que j’ai appris avec Mic Guillaume et que j’ai retrouvé et approfondis avec Laurent Pichaud et Loïc Touzé en travaillant dans leurs projets. Autre expérience fondatrice parce que première confrontation à une technique, ce sont les cours pris avec Louise Burns qui enseigne la technique Cunningham. J’ai découvert ce que pouvait être une technique en danse, ainsi que ce qui me suit encore et que je comprends, projette ou fantasme du travail Cage-Cunningham. J’ai dansé des Events lorsque j’étais en formation, c’est ma seule expérience de répertoire. La première pièce à laquelle j’ai participé avec Mathilde Monnier était une commande du festival ImpulsTanz à Vienne en hommage à Cunningham. Cunningham devient donc un ancrage relativement fort pour toutes ces raisons.
Une autre expérience marquante de ma formation de danseur a été les cours et les ateliers avec Thierry Baë qui étaient un mélange très singulier de différentes pratiques et techniques de corps allant du Qi Qong jusqu’à des techniques de bras de la danse expressionniste allemande encore une fois. Entre les deux, des exercices très impressionnants assez explosifs où l’on passait notre temps à alterner d’un état relâché mais en alerte à un déploiement d’énergie très concentré pour, par exemple, passer de la position allongée sur le dos à la position allongée sur le ventre en étant passés par une position intermédiaire sur les pieds. Cela fait partie des applications des techniques liées aux trois centres énergétiques tels que l’on peut les aborder en Taï Chi par exemple.
J’ai traversé des choses similaires avec Lluis Ayet qui comme Thierry Baë avait été danseur de Catherine Diverrès dans les années 1980.
En fait, ma formation est marquée par la danse des années 1980 dans la mesure où les professeurs dont j’ai suivi l’enseignement ont traversé les grandes expériences de cette époque en Europe principalement. Mes premières expériences professionnelles sont aussi liées à ces années et au début des années 1990. Du fait des chorégraphes eux-mêmes mais aussi des équipes d’interprètes dont les débuts de carrière se situaient dans les années 1980.
Mes expériences fondatrices en tant que spectateur de danse sont quant à elles différentes. J’apprenais la technique Cunningham quand au même moment les spectacles que j’allais voir la mettaient publiquement en question, comme Produit de circonstances de Xavier Le Roy par exemple. Je ne me suis pourtant jamais senti schizophrène sur ce point. Même si j’ai commencé à danser au moment même où le mouvement en danse était fortement remis en question, j’ai toujours pensé que l’apprentissage du mouvement dansé était très important pour moi, pour la simple raison que l’immobilité est toujours en lien avec à la possibilité de mouvement.


#2 - Mars 2009

YC
J’aimerais revenir sur la figure de l’animal qui semble occuper une certaine place dans ton travail, qu’il s’agisse du titre même de la pièce que tu es en train de créer, Chevreuil, ou celle du cerf que tu as apporté dans Love de Loïc Touzé ou encore celles du chat et du chien dans This is an Epic de Jennifer Lacey. Dans l’histoire de la littérature, elle correspond généralement à une approche critique de l’humanité. Pour ta part, quelle fonction lui attribues-tu? À quel moment y recours-tu? Qu’est-ce qui motive son emploi?

RH 
Les deux derniers exemples que tu donnes sont un peu différents de l’utilisation que je peux avoir de la «figure de l’animal» dans mes propres pièces, car il s’agit de réponses d’interprète. Dans le cas de This Is An Epic, je répondais à la proposition de re-enactment d’une séquence de film (la scène d’ouverture de The Thing de J. Carpenter) et de planches de Manga. Dans Love, il s’agissait de m’ajouter à une situation lors d’une improvisation qui mettait en relation le plateau et une très grande photo de forêt suspendue au-dessus.
Chevreuil est ma deuxième pièce qui porte un titre d’animal. La première, Domestiqué coyote, est une pièce de commande passée par le centre d’art du Plateau et le Parc de la Villette en 2006. La commande était simplement de produire une pièce qui soit jouée trois fois par jour pendant deux jours dans le parc lors d’un événement intitulé «Pelouses Autorisées». J’ai accepté et me suis interrogé sur ce qu’était un parc, sur sa fonction dans la ville, son règlement, etc. S’agissant d’urbanisme, j’ai été tenté de faire des catégories, comme «parc de gauche» et «parc de droite» par exemple. De là, je me suis dit que les parcs étaient conçus comme des espaces spécifiques servant le pouvoir et, en négatif, révélaient bien plus que le plaisir «d’un peu de verdure dans un espace saturé de voitures». Je me suis dit que les pouvoirs publics voulaient atténuer l’expression de leurs véritables fonctions en nourrissant la confusion entre des notions comme la nature, le naturel et le végétal et qu’en extrapolant un raisonnement similaire, les chiens dans les parcs seraient alors des bêtes sauvages (ou presque). Je me suis intéressé à Beuys et à la performance I like America and America likes me (1974), et j’ai tenté de renouveler une partie de son expérience en vivant pendant quelques jours dans un chenil avec de très jeunes chiots qui par conséquent n’avaient eu que très peu de contacts avec des humains. L’expérience a tourné court parce qu’un chien même jeune, né comme «socialisé», c’est déjà un être culturel. Je crois que c’est ça qui m’intéresse avec les animaux et avec tout ce qui relève de la nature. Cette chose qui fait que tout est socialisé en tout point ou presque de la planète. C’est finalement assez naïf de ma part, mais ça continue de me faire peur de réaliser que tout est domestiqué, partout. Gilles Clément en parlant du paysage, dit que toute la surface du globe est jardinée à l’exception de quelques rares endroits qu’il nomme le tiers-paysage, tels les sommets inatteignables des montagnes mais aussi les espaces entre deux immeubles. Le renouvellement de cette prise de conscience est un premier point.
D’un autre côté, regarder les animaux évoluer est un poncif, voire une sagesse, de l’apprentissage de la danse. Béjart dit qu’il a appris à danser en regardant ses chats. Nijinsky a probablement regardé les cabris. L’année dernière, en réponse à l’invitation que m’a faite Philipp Gehmacher de participer à la série des Walk+Talk (2) à Vienne, j’ai construit une performance dont la moitié concernait les relations que je faisais entre mon apprentissage de l’équitation pendant une dizaine d’années et ma formation et ma compréhension de la danse plusieurs années plus tard. Les deux disciplines partagent un vocabulaire commun et ont recours à des principes d’abstraction similaires.
Une autre motivation pourrait alors être biographique.
Il y a une troisième motivation, qui serait la plus intéressante à mon sens parce qu’elle opère en angle mort (elle n’est pas vraiment consciente), et qu’elle est de fait davantage déchiffrable par les observateurs du travail que par moi-même. Comme beaucoup d’artistes de différentes époques et de différentes régions du monde, je travaille cette figure. «La figure de l’animal» ne serait donc pas simplement une expression artistique d’une ou de différentes époques mais le symptôme de quelque chose d’autre. Que faudrait-il réaliser pour qu’il ne soit plus jamais question de «la figure de l’animal»? Il faut préciser que je commence à lire le «Rituel du serpent» d’Aby Warburg (3), alors ces questions ne sont pas encore bien digérées et restent un peu exotiques.
Ce troisième aspect me permet aussi de réaliser que je porte un intérêt que je ne soupçonnais pas à certaines formes de l’art qui impliquent des notions de rituel. Je me souviens combien j’avais été touché par les oeuvres d’Ana Mendieta dans une rétrospective que lui avait consacrée le Whitney Museum en 2004. Cela me renvoie également à la relation que Loïc Touzé établissait dans un précédent entretien pour le Journal des Laboratoires (4) entre l’absence de hiérarchie dans mon travail entre les choses, animées ou non, et animisme. 
Mais quand tu te réfères à la littérature, est-ce à La Fontaine, à des fables médiévales qui font les récits de héros terrassant des monstres, à Moby Dick, à l’âne de Buridan que tu penses? Je n’ai rien lu de tout ça.

YC 
Les exemples en littérature qui me viennent à l’esprit sont essentiellement l’oeuvre d’Homère et les fables de La Fontaine. Dans l’Illiade et l’Odyssée, l’animal apparaît principalement lors de métamorphoses. Les récits mélangent les dieux, les hommes et les animaux, et ces images nous montrent que l’humain côtoie de très près l’animal qui est en lui, au point qu’il peut changer d’espèce ou accueillir une variation dans sa figure. S’il s’agit de changer, c’est la figure de l’animal qui est choisie, comme si, au-dehors de l’homme, dans son environnement, la seule figurabilité ou la plus souvent évoquée était celle de l’animalité. À cette époque, l’animalité et ses «figures» étaient à considérer comme une enveloppe continue dans laquelle l’homme est pris, nourri, bercé. Ces métamorphoses sont des explications poétiques, symboliques et religieuses du monde. Elles sont une justification des présences familières qui entourent l’homme. À travers elles, c’est l’expression d’un rapport profond de l’homme avec la nature qui apparaît, trace de la pensée animiste précisément. L’usage de l’animal dans la fable est différent au premier abord. Elle a pour but de raconter des histoires singulières qui sont généralisables. Pour ce faire, elle doit utiliser des personnages quelconques, qui paraissent individuels mais qui sont remplaçables. Les animaux offrent cette possibilité, derrière l’espèce qui vaut pour générique, se cache un individu particulier. L’anthropomorphisme des Fables de Jean de La Fontaine est une donnée fixe, contrairement aux métamorphoses passagères de la mythologie grecque. L’animal est comme un déguisement, il sert à duper les censures politiques et sociales car «le poète n’est pour ainsi dire pas responsable du langage des bêtes». Néanmoins, se servir d’animaux n’est pas un choix neutre, au-delà des intentions critiques, il suppose une sorte de philosophie implicite qui n’est pas nécessairement naïve. Elle exprime l’idée que l’homme est un animal parmi d’autres, privilégié par son intelligence, mais qui doit attention et respect aux autres espèces. Dans les deux cas, la figure de l’animal renvoie à l’attitude de l’homme envers l’environnement.
Dans sa conférence sur le rituel du serpent, Warburg montre précisément comment la volonté de maîtrise de la nature se forme différemment chez les Indiens et chez l’homme moderne. Les premiers cherchent à se l’approprier par mimétisme — c’est l’objectif des danses animalières, tandis que le second la met à distance à l’aide d’instruments, de technologies. Quand on s’arrête ainsi sur la figure de l’animal, que l’on observe qu’elle est récurrente dans ta pratique de danseur et de chorégraphe, il n’est pas surprenant que la notion de contexte fasse aussi partie des éléments de ta recherche. J’aimerais savoir comment tu l’as mise en œuvre dans les différentes sessions de travail que vous avez eues jusque-là pour Chevreuil. Et comme je suis plus particulièrement concernée par le contexte des Laboratoires d’Aubervilliers, j’aimerais savoir ce que vous considérez, repérez, gardez de ce contexte-ci? 

RH
Cette notion de contexte à été mise en œuvre de différentes manières que je pourrais désigner par deux modes relativement distincts bien que très liés car découlant l’un de l’autre. Il y a d’abord des modes d’expérimentation qui ne sont pas destinés à être montrés. En commençant à travailler sur cette pièce, je souhaitais renouveler une expérience que j’avais faite quelques mois plus tôt et qui consistait à travailler ou en tout cas être en état de travail pendant 24 heures. Ce qui m’intéressait c’était de maintenir un état de travail — comme faire des quarts sur un bateau ou veiller à ce qu’un feu ne s’éteigne pas (ce n’est pas une métaphore évidemment) — une recherche sur une seule question à un endroit géographiquement circonscrit. J’étais curieux de savoir comment le travail allait être affecté, ce que nous saurions de plus si nous vivions en partie éveillés pendant 24 heures aux Laboratoires d’Aubervilliers.
Lors de la première session de travail en avril 2008 où j’avais convié Éric Yvelin (musique) et Yannick Guédon (danseur), nous avons donc fait l’expérience avec les paramètres suivants: un tirage au sort fixe celui qui travaille, à quel endroit et pour quelle durée. Sur les papiers, nos trois noms isolés, plus toutes les combinaisons possibles de durée (comprises entre 7 et 120 minutes) et de lieu (le studio, les Laboratoires d’Aubervilliers — intérieur et extérieur jusqu’au portail donnant sur la rue —, et le carrefour des Quatre Chemins). L’énoncé sur lequel nous nous concentrions était «traduire la traduction».
Bien que cette expérience soit riche à plus d’un titre, ce qui concerne notre connaissance du contexte reste limitée ou anecdotique. Lors de la session de travail qui a suivi, nous avons avec Ondine Cloez et Aude Lachaise (danseuses) dressé des listes et des arborescences qui mettaient en question la notion du contexte des Laboratoires sans pour autant trouver de forme chorégraphique à y associer. Quelques semaines plus tard, seul cette fois, je me suis plié à l’exigence de lire trois quotidiens par jour (Le Parisien (édition du 93), Le Monde ou Libération, The Guardian) tout en poursuivant mes recherches sur d’autres aspects de Chevreuil. J’ai commencé à collecter des images, à les mettre en relation, fait des comparaisons, des traitements des photos d’agence que l’on retrouve dans les trois éditions, comparé les bulletins météo, observé le parcours des articles entre la périphérie, la une, puis l’oubli, etc. Ce qui m’intéresse dans cette expérience c’est le sentiment d’être inclus dans une globalité, même si cette presse reste un moyen relativement superficiel d’y parvenir avec la condition supplémentaire de bien vouloir se prêter au jeu du «sentiment d’inclusion». C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience que mon interrogation sur le contexte n’avait rien à voir avec «faire le portrait d’un lieu», c’est-à-dire que cette pièce ne prendrait pas comme «décor» Les Laboratoires ou tout autre lieu où l’on irait travailler (répéter ou présenter). La collecte d’images m’a permis de découvrir que je voulais travailler par analogie, traiter le contexte spécifique par la comparaison avec d’autres choses et donc m’intéresser plus précisément à l’espace qui sépare le contenu du contenant (les valeurs subjectives associées au contenant étant mises à jour par les composantes objectives du visible — le bâti notamment).
En octobre, j’ai décidé de sortir à nouveau des Laboratoires. J’ai proposé à Audrey Gaisan (danseuse) et Yannick Fouassier (éclairagiste) le protocole suivant : après avoir parlé le plus exhaustivement possible de ce que je savais de Chevreuil, nous devions quitter le lieu de travail et partir pour une durée déterminée pour ramener une chose (matérielle ou non) et une seule que nous considérerions comme n’ayant absolument rien à voir avec le travail en cours.
En novembre dernier, nous avons commencé les répétitions tous ensemble (une équipe de 7 personnes) et les notions de contexte ont été développées scéniquement de trois manières. Un processus qui met en jeu deux espaces: celui dans lequel les spectateurs sont conviés et un espace contigu (la salle d’à côté). Les danseurs présents sur le plateau principal (celui qui est à vue) traitent les informations (essentiellement sonores) qui leur parviennent. Ce traitement leur permet de construire une organisation relative (organisation synonyme ici de chorégraphie). Ce qui est important c’est la notion de relativité: une organisation qui doit prendre en charge le caractère changeant et mobile de ses propres paramètres.
Une deuxième option en cours de résolution est un processus de documentation iconographique d’une situation. La situation en question étant une discussion très concrète (qui s’envisage avec des outils chorégraphiques, c’est-à-dire qu’il faut désamorcer et tirer profit du fait que nous ne soyons pas des spécialistes de la parole sur scène). Après chacune de ces discussions, j’extrais de mémoire les thématiques abordées et je trouve sur internet des images s’y associant. Ces images sont une interprétation, en ce sens où, s’il a été question d’une voiture dans la discussion et que l’image sur laquelle je tombe (et que je choisis bien souvent en fonction de sa définition en pixels) est la photo d’une voiture accidentée, d’une voiture américaine ou est-allemande, cela ne charrie pas les mêmes «blocs de sens». De cette manière, je constitue une collection d’images (essentiellement des photos) en noir et blanc. Ce fonds est utilisé par l’un d’entre nous afin de documenter par analogie les discussions que nous avons et que nous aurons en public. Cette collection est de fait quotidiennement augmentée d’une dizaine d’images.
D’autres processus travaillent sur les différences et les choix entre montrer et présenter; ces processus questionnent eux le contexte artistique de publication de l’oeuvre (comme vous dites justement aux Laboratoires). Opérer des choix entre montrer et présenter c’est décider d’une adresse aux spectateurs, c’est une façon de renouveler un questionnement amorcé avec Atteindre la fin du western en ce qui concerne le statut de témoin, ou celui de spectateur dans un sens plus partagé.

 

 

 





1 – Au sujet du remontage de la pièce par le quatuor Knust, voir n° spécial danse de la revue Art Press, 2002.

2 – La série des Walk+Talk conçue par Philipp Gehmacher, chorégraphe autrichien à l’invitation du Tanzquartier à Vienne, proposait à 9 autres chorégraphes de montrer et discuter dans le même temps, sur scène, leur langage chorégraphique. Du 14 au 21 mars 2008 deux performances ont ainsi été présentées chaque soir au public : Oleg Soulimenko (RUS/A) / Meg Stuart (USA/B/D) ; Philipp Gehmacher (A) / Antonia Baehr (D) ; Rémy Héritier (F) / Sioned Huws (UK) ; Boris Charmatz (F) / Jeremy Wade (USA/D) et Milli Bitterli (A) / Anne Juren (F/A).

3 – Né en 1866 à Hambourg, Aby Warburg s’est consacré à l’étude de l’histoire de l’art, en particulier celle de la peinture de la Renaissance florentine. En 1895, il voyage aux États-Unis, se documente sur les cultures amérindiennes, et visite plusieurs villages pueblos du Nouveau-Mexique et d’Arizona. À Oraibi, notamment, il assiste à une danse masquée de katcina, figures ancestrales des Indiens Hopis. Il n’en parlera pas avant 1923, date à laquelle il prononce une conférence à la clinique du Dr Binswanger où il est soigné intitulée Le rituel du serpent. Dans son texte, il rapproche le serpent — objet de rituel chez les Hopis — du motif graphique de l’éclair (symbole de la pluie), et en poursuit la trace en Grèce ancienne et en Occident chrétien. Cette icône, explique-t-il, est porteuse d’une inquiétude universelle qui résiste à la raison. Sur Warburg, voir notamment Philippe-Alain Michaud, Aby Warburg et l’image en mouvement, Macula, 1998 et 2002.

4 - Entretien paru dans Le Journal des Laboratoires n°5, janvier-juin 2006.