Les Laboratoires du commun, des artistes, des sujets
et des corps politiques

Alexandra Baudelot, Dora García, Mathilde Villeneuve
2013-2018

 

Notre codirection des Laboratoires d’Aubervilliers s’achève, fin 2018. Elle a été une expérience intense, fragile, joyeuse, entre nous trois, avec tou•te•s celles•ceux qui ont rejoint l’équipe des Laboratoires, en compagnie des artistes invité•e•s et de tou•te•s les collaborateur•trice•s avec qui nous avons tenté de bâtir, sinon une sensibilité commune, du moins des sensibilités conjointes. Six années durant lesquelles nous avons œuvré à la mise en partage de savoirs, de savoir-faire, de formes d’attention et d’adresse. Six années où nous avons tenté d’inventer des manières de sentir et d’agir ensemble qui puissent contrer les dynamiques actuelles de repli, d’appauvrissement de la pensée et de modes de vie de plus en plus sclérosés.

Ce « nous » qui s’est progressivement formé au sein des Laboratoires d’Aubervilliers a été constamment remis en jeu à chacune des propositions artistiques que nous avons accompagnées, au contact de chacun•e•s des chercheur•se•s et militant•e•s qui se sont agrégé•e•s aux projets, et, plus généralement, des usager•ère•s qui fréquentent le lieu. Ce fut un nous multiple, donc, empreint de contradictions, forcément, jamais vraiment arrêté et qui continue, au-delà des expériences in situ, de se déplier.
En regardant en arrière, on ne peut que constater combien les enjeux et les modes de développement des recherches des artistes diffèrent et combien ils ont amené l’équipe que nous sommes à interroger et refaçonner le travail, jusqu’à remodeler l’institution elle-même.

Qu’il s’agisse d’enquêtes de terrain, de groupes d’étude, d’ateliers, de propositions dans l’espace public ou d’autres lieux non dédiés à l’art, de lectures, de performances, d’expositions, de pièces chorégraphiques et théâtrales, d’éditions, le développement de la recherche artistique a impliqué des médiums, des partenariats et des formes de participation et une dynamique propres à chacun. Malgré cette grande variété d’approches et de mises en œuvre, il est une chose que nos invités ont eue en commun, c’est d’avoir affiné et renouvelé nos perceptions, aiguisé nos consciences et ouvert à la proposition de formes de vie solidaires, non excluantes. D’avoir su aussi reconsidérer le territoire de l’art pour s’attacher non pas à des formes finales de représentation mais à des processus de travail, de rencontre, volontaires, généreux et constamment ouverts vers l’extérieur.
À rebours, donc, des logiques de rentabilité et des injonctions de résultats qui charpentent trop largement la scène artistique, c’est avant tout le cheminement des artistes et les enjeux de leurs pratiques qui ont guidé nos pas, comme ceux de notre institution, pour mieux se laisser traverser par leur temporalité et leurs spécificités.

Chaque année, la plateforme de recherche partagée Le Printemps des Laboratoires a établi des liens avec le travail mené par les artistes au sein des Laboratoires. Avec elles•eux, avec des chercheur•euse•s en sciences humaines, des professionnel•le•s issu•e•s de domaines éclectiques, avec un public concerné par les thématiques explorées, nous avons œuvré à mettre en perspéctive pratiques artistiques et théoriques. Avec elles•eux, nous avons exploré les complexes notions de communs et de communautés, les rapports entre l’art et le travail, la dimension critique du geste artistique dans l’espace public, les formes de soin construites à la marge des institutions et des prescriptions médicales, les perceptions et les expériences extrasensorielles et la façon dont elles agissent dans notre monde rationnel, et enfin le vivre-ensemble dans sa tentative d’émancipation avec différentes formes de dette.

Nous avons, outre les résidences d’artistes, tenu à accueillir et à rendre visibles les paroles, les pratiques et les initiatives artistiques de collectifs, à l’intérieur et à l’extérieur du monde de l’art. Nous avons accueilli des revues politiques et sociales, d’art et de cinéma, nous avons hébergé des classes d’écoles d’art et d’universités qui livraient une réflexion passionnante sur le tournant pédagogique des arts. Nous avons fait de la place à des personnalités hors norme et aménagé les conditions pour que ces personnalités parlent à un public le plus vaste et varié possible.
Le sillon que nous avons tracé durant ces six années est tout sauf univoque et solitaire. Il est, à l’image encore des artistes qui ont marqué la vie des Laboratoires d’Aubervilliers, composé d’une pluralité de voix et de formes, façonné par les rencontres que nous avons initiées et par celles qui sont advenues naturellement. Nous remercions chaleureusement tou•te•s celles et ceux qui nous ont accompagnées.

Alexandra Baudelot 
Dora García
Mathilde Villeneuve

 


                                                  Mémento :
                                                  Inventer des contre-histoires.
                                                  Accepter l’hybridation.
                                                  Refuser d’être un tout.
                                                  Démolir la pensée binaire.
                                                  Ne pas craindre l’apocalypse.
                                                  Muter sans promesse.

 

* Ian Larue, Libère-toi, cyborg ! Le pouvoir transformateur de la science-fiction féministe, Paris, Cambourakis, 2018, p. 229

 

 

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