Habiter pour créer
Entretien Claudia Triozzi et Smaranda Olcèse
février 2017

 

SMARANDA OLCESE — Vous créez Pour une thèse vivante en 2011, en réaction aux accords de Bologne qui instituent l’obligation au niveau européen, pour les élèves des écoles d’art, de rédiger un mémoire afin de valider leur diplôme. Quel type de relations à l’écriture Pour une thèse vivante vous permet-elle d’explorer ?

CLAUDIA TRIOZZI — Je me suis emparée de cette question de l’écriture aussi bien en tant qu’enseignante d’école d’art qu’en tant que personne qui crée. Je l’ai prise comme une ouverture. Néanmoins, mon territoire reste la scène. Si écriture il y a, alors c’est l’écriture même de matériaux qui m’ont intéressée et qui m’ont aidée à créer des pièces.
Pour une thèse vivante, en 2011, rassemblait, sur le plateau, des bribes de textes, des vidéos, mais aussi des invités en chair et en os – des psychanalystes, des historiens de l’art, des artistes – et un âne. Beaucoup de problématiques soulevées lors de ce premier épisode sont encore aujourd’hui très pertinentes : la vulnérabilité, par exemple – une question toujours ouverte, qui faisait, à l’époque, écho aux développements d’Esther Ferrer concernant le cri, l’artiste affirmant qu’elle souhaite parfois que ce qu’elle dit ou fait soit entendu tel quel et pas autrement, serré, court, comme un manifeste. Par la mise en scène des pièces, je suis arrivée à une parole qui se situe en deçà du récit, qui refuse de signifier ; pourtant, des mots-clés se détachent au fur et à mesure, permettant l’analyse des créations et définissant l’axe de l’agir dans le sens d’un aller vers, d’une dynamique, sans pour autant les spécifier. Voici le sens de Pour une thèse vivante. À partir de là, les questions liées à l’écriture ont été résolues : l’écriture vient après, pour ouvrir, dans les corps, des espaces de créativité, et non pas pour finir ou figer un travail. Aujourd’hui, je ne voudrais pas banaliser cet acte en épuisant des matériaux préexistants. Il est essentiel que je puisse maintenir une démarche de recherche. Poursuivre Pour une thèse vivante a du sens seulement si je continue de fabriquer, en parallèle, des pièces de répertoire.
Le fragment a certes à voir avec la logique interne de Pour une thèse vivante. La fabrication de chaque épisode implique quelque chose de passionnel : des temps fragmentés, plus courts, des matériaux déjà partiellement élaborés et donc plus ouverts. La pédagogie, l’ouverture à l’autre, mais aussi l’aspect psychique – la manière dont je m’investis dans le processus de création – sont également très importants.
Quant à la possible inscription de Pour une thèse vivante dans un cadre universitaire, elle suppose que je trouve une personne susceptible d’accompagner ce projet. Autrement, être dans un manifeste, en dehors de l’enseignement officiel m’intéresse également. Néanmoins, je pense qu’à un moment donné il faudrait mettre en scène une soutenance – avec un vrai ou un faux diplôme. Mais il y a d’autres expériences que j’aimerais faire avant de pouvoir dire : voici ma thèse !

SMARANDA OLCESE — À quel endroit situez-vous la distinction entre les processus de création impliqués par une pièce et ceux mobilisés par un épisode de Pour une thèse vivante ?

CLAUDIA TRIOZZI — Faire une pièce, c’est plonger dans l’inconnu : des choses surgissent en moi, il y a aussi des questionnements qui reviennent, quelque chose se construit. Je dois trouver la forme plastique, ce que je vais partager de mes recherches… Tout cela prend du temps. Ce n’est pas le même processus. Pour une thèse vivante est une manière pour moi d’archiver mes pièces : je peux en reprendre des passages, interroger des matières, tisser des liens à partir de ces matériaux vers d’autres personnes.
Pour une thèse vivante est un flux d’énergie qui échappe parfois, parce qu’il se construit dans une autre économie temporelle. Il s’agit d’un manifeste : faire signe depuis l’endroit où nous sommes et avec ce que nous faisons.

SMARANDA OLCESE — Revenons un instant aux premiers désirs qui ont conduit au mûrissement de Pour une thèse vivante en 2011.
 

CLAUDIA TRIOZZI — J’étais en résidence au Musée de la Danse, Centre Chorégraphique National dirigé par Boris Charmatz, à Rennes. Je suis partie du titre. Il s’agissait de réactiver des séquences de mes pièces antérieures, parce qu’elles n’avaient pas été suffisamment vues. Pour une thèse vivante est finalement une façon de réinterpréter des passages de mes travaux antérieurs que j’ai encore envie de jouer, qui me parlent toujours. C’est une manière pour moi de me donner une autonomie, de décider moi-même quoi rejouer et comment.
Pour une thèse vivante me permet de convoquer des états très disparates que j’ai pu parcourir entre les différentes créations : qu’est ce qui m’a amenée à faire la pièce suivante ? Comment cela s’est-il fait ? Dans quel type d’énergie étais-je ? Dans quelle situation de vie, même hors métier ? Pour une thèse vivante me permet de repenser mon parcours de vie, finalement, en plus de celui de scène.
Au fur et à mesure que j’avançais dans les épisodes suivants, le désir s’est précisé de commencer à y soustraire mes pièces, à ne plus utiliser le passé, à rester dans quelque chose de plus proche de ce qui est en train d’advenir.

SMARANDA OLCÈSE — Parlons justement des dynamiques de fond qui reviennent au fil des différents épisodes.

CLAUDIA TRIOZZI — Pour une thèse vivante a en soi une modalité très difficile : le projet se construit chaque fois avec très peu d’argent, sur un temps assez court, plus souvent à la maison que sur le plateau. La mise en tension de toute cette dynamique entre les vidéos, les divers matériaux et les invités demande une détente et une disponibilité absolues, présuppose d’accueillir et d’accepter les accidents qui peuvent survenir sur scène. Le travail se construit aussi à partir de ces accidents.
Pour une thèse vivante, c’est le rebondissement de ce qui advient au moment où ça advient. Ce qui me passionne, dans cette démarche, c’est aussi de faire sens avec des choses disparates, observer quelle en est l’épaisseur et comment ces choses s’entrelacent, quel type de pensée en surgit.

SMARANDA OLCESE — Des figures disparates structurent chacun des épisodes de Pour une thèse vivante. Le psychanalyste, les artistes, le boucher, le tailleur de pierre, le modèle et l’âne constituent la trame mouvante du premier épisode, créé à la Ménagerie de verre en 2011. Un deuxième épisode a eu lieu à Bologne, en 2012. Avanti tutta (Pour une thèse vivante) , qui est le troisième épisode créé à la Ménagerie de Verre en 2014, s’articule autour d’une ancienne actrice de Hollywood, d’un faiseur de nœuds, d’un mannequin, d’une chanteuse. Comparses (Pour une thèse vivante) enfin, épisode 4 créé au Louvre en 2015, mobilise des historiennes d’art et des restauratrices. Quelles sont les grandes thématiques qui reviennent, et selon quelles déclinaisons ? La question de la représentation se pose aussi bien concernant le monde du travail que par rapport à l’histoire de l’art.
 

CLAUDIA TRIOZZI — Les recherches liées aux représentations du monde du travail et des différents savoir-faire ont été initiées en 1999 avec Dolled up qui marquait une tentative de réinvestir d’autres métiers que le mien et de les mettre en scène. Cela ne s’est jamais limité aux simples gestes du métier (même si on a souvent souligné cet aspect de mon travail). J’ai toujours considéré le geste en relation avec une façon de se représenter, d’être en communication, en relation avec son environnement. D’où l’importance de la parole, dans mes projets. Il s’agit d’un ensemble où le geste est relié à une pensée de soi, parfois volontairement bridée. Ce qui m’intéresse, c’est de regarder du côté de ces blocages. Je cherche cette pensée en acte qui se compose de tous ces éléments. Ma démarche revendique également une tentative d’abolir les hiérarchies, sans pour autant soutenir que nous sommes tous semblables ni rechercher une homogénéisation.

Interview de Claudia Triozzi avec le faiseur de nœuds Antonio Lamonica dans la pièce
Avanti tutta (Pour une thèse vivante)
, 3e épisode, présenté à la Ménagerie de verre en 2014

Le nœud capucin

          Antonio :  Vous n’avez jamais vu la corde des capucins ?
          Claudia : Peut-être, mais je ne m’en souviens pas bien.

          Antonio : Alors celui-ci, c’est un nœud facile !
          Claudia : Ah voilà !

          Antonio : Il peut être… ça, c’est le nœud de capucin.
          Claudia : Le nœud de capucin sert quand quelqu’un veut s’échapper
          et qu’il lance la corde de sa fenêtre.
          Antonio : Oui, un nœud d’arrêt, oui.
          Claudia : Où l’on peut poser les pieds !

          Antonio : Exactement.
          Claudia : Et comment s’appelle-t-il ?
          Le nœud de capucin sert à s’enfuir ?

          Antonio : Non, il s’appelle comme ça car il est utilisé par les
          capucins.
          Claudia : Et que font-ils, avec ce nœud ?

          Antonio : Vous voyez la cordelette avec laquelle ils nouent
          leur bure ?
          Claudia : Oui.

          Antonio : Sur le côté, il y a…
          Claudia : Des nœuds !

          Antonio : Voilà, c’est ça !
          Claudia : Ah ! J’ai compris ! Comment s’appelle-t-il ? Nœud de
          capucin ? Alors, je peux dire que les capucins ont toujours sur eux
          un nœud qui leur permet de s’échapper ?

         Antonio : Non.
         Claudia : Non ? C’est une métaphore mais elle ne vous plaît pas.

         Antonio : Mais non, figurez-vous !
         Claudia : Moi, il me semble que le capucin, et je ne le savais pas, a
         cette corde qui lui permet de s’échapper. Ils ne sont quand même
         pas idiots, si je puis dire.
         Non mais c’est intéressant !

         Antonio : C’est un nœud qu’ils ont sur le côté. Je crois, je n’en suis 
         pas sûr car je ne suis pas religieux, que le nombre de nœuds
         représente le grade hiérarchique : plus il y a de nœuds, plus ils sont
         importants dans la hiérarchie.
         Claudia : Donc, le nœud de capucin, très, très beau. Il me plaît
         beaucoup, d’autant plus que ces capucins
sont malins, je le savais,
         j’ai toujours pensé qu’ils étaient malins, ces capucins. De vrais petits
         malins.


Les différents épisodes de Pour une thèse vivante ont marqué un glissement de l’incarnation par moi-même des différents métiers vers des invitations sur scène à des personnes qui exercent véritablement ces métiers, dans l’optique d’une passation de rôles.

Quant aux connexions avec l’histoire de l’art, elles se font naturellement, grâce aux invitations. La coupe du boucher peut nous ramener à des œuvres picturales, à des performances des années 1970, à des questionnements philosophiques, aux sciences. Chaque savoir-faire déploie son expressivité, témoigne d’une certaine créativité. Le geste du tailleur de pierre s’inscrit dans un temps plus long, fait signe vers une autre disponibilité du corps à la matière. Je suis intimement convaincue que l’histoire de l’art nous traverse, que nous la portons en nous-mêmes de manière inconsciente. Je préfère donc construire des objets scéniques avec des matériaux communément considérés en dehors du champ de l’art.

L’âne constitue le point obscur de la représentation, l’échappée – personne ne saura dire exactement où il en est. C’est un être qui fait signe vers l’inconfort et l’impulsivité : il brait, il chie, il pisse, il réagit à sa propre peur, tente de s’en défaire de manière virulente. Sa présence sur le plateau lors du premier épisode de Pour une thèse vivante, en 2011, me permet aussi de parler des excréments, cette matière qui habite le corps, cette production qui ne s’arrête que par la mort. Le morceau de viande composée – l’aloyau travaillé par le boucher – favorise des connexions liées à la peur, à la vulnérabilité, au fait de subir. Et, d’une certaine manière, je me reconnais dans ces états : sur scène, je traverse des moments d’inconfort, de vulnérabilité. Je partage cette dynamique avec mes invités : nous faisons ce que nous ne savons pas faire. C’est une véritable méthodologie : aller au-delà de soi, se décaler, dépasser ses compétences, ce sont des endroits où, souvent, la pensée devient fertile.

SMARANDA OLCESE — Pouvons-nous nous attarder sur l’usage que vous faites de la vidéo ? Dans chacun des épisodes de Pour une thèse vivante, certains invités sont présents sur le plateau en chair et en os, alors que d’autres y sont conviés à travers la projection de vos échanges filmés. Quel type de relation la caméra permet-elle d’instaurer ?

CLAUDIA TRIOZZI — Ces échanges mettent en jeu des questions qui permettent d’aller davantage vers l’autre. Pour une thèse vivante cherche cette parole qui échapperait à l’autre. Il s’agit d’affirmer, de se confronter à cette affirmation et de travailler à cet endroit. La caméra me permet de m’approcher, je filme jusqu’au grain de la peau. C’est un corps à corps qui s’engage – être dans le mouvement de l’autre, dans la parole de l’autre.

Interview de Claudia Triozzi avec Mme Juliette Levy, restauratrice d’œuvres
Comparses (Pour une thèse vivante), 4e épisode, présenté au Louvre en 2015

Faire corps

          Claudia : Qu’est-ce que restaurer fait à notre propre corps ?
          Marie-Madeleine étant aussi une femme, quelle relation s’instaure
          avec soi-même pendant la restauration ?
          Juliette : C’est vrai … Ça me frappait beaucoup à l’époque, à
          chaque fois qu’on disait : j’ai découvert un morceau, là – et on le
          montrait sur notre propre corps, plutôt que sur celui de la sainte
          Madeleine pour expliquer. C’est vrai qu’il y a une sorte de renvoi
          du corps de la sculpture vers nous. C’est très intéressant de voir
          comment elle est faite, comment elle est sculptée. Évidemment, elle
          a un corps idéalisé, très beau , mais c’est vrai qu’il y a cet écho
          entre les deux corps. Comme je vous le disais, les polychromies
          superposées, avec la polychromie originale, faite en plusieurs
          couches et puis les repeintures du XVIIe et du XIXe, ce sont comme
          des peaux. C’est très intéressant de retirer la peau récente pour
          retrouver la peau d’origine, ça fait rêver !

          Claudia : Restaurer, c’est aussi tenter de se replonger dans le geste
          de la personne qui a créé l’œuvre ?
          Juliette : Oui, c’est vrai … Tout à fait. On a vraiment les yeux fixés
          sur chaque relief de la sculpture. À force de les voir, ces reliefs, on
          comprend comment ils ont été faits, si l’artiste a été vite ou
          lentement, s’il est revenu, s’il y a repentir, s’il a essayé d’enlever
          un
défaut du bois, si sa lame était affûtée ou si elle avait un
          défaut…

          Quels sont les outils, les gestes, les difficultés qu’il a rencontrés. Et
          pour la sainte Madeleine, le fait de vider le buste – il fallait d’abord
          faire un trou, puis taper, au début, ça devait être assez facile, mais
          après, évider sans percer les parois du bois – ça a été très bien fait
          ici, mais souvent, sur d’autres sculptures allemandes de la même
          époque, on voit que le sculpteur a percé et qu’ensuite, il a mis une
          petite pièce, par exemple. Effectivement, retrouver ce geste est
          extraordinaire, voir comment il a raisonné, par quoi il a commencé,
          etc. Et on est un peu dans son esprit, pour certaines parties de son
          travail, je ne dis pas qu’on comprend tout, mais il y a toute une
          partie qu’on retrouve, et on est transporté, presque à côté de lui,
          par l’imagination, et ça fait rêver complètement, le restaurateur, de
          retrouver tout cela et d’être dans cette proximité avec le sculpteur
          ou le polychromeur. Et cette proximité est extraordinaire, parce
          qu’on traverse le temps et qu’effectivement, on rêve. Cela fait
          complètement planer.

          Claudia : Si je dis  « être dans le geste de l’autre » ?
          Juliette :  Aussi ! Être très proche de lui, se comprendre à travers
          le temps. C’est très bénéfique. Parce que la restauration est
          bénéfique pour le restaurateur aussi : on a l’impression qu’à travers
          les siècles, les gens se comprennent et ça crée presque des liens.

Être dans la vie de l’autre pour un moment, c’est une sorte de performance à deux, je l’accompagne, je le mets à l’aise de par mon travail du corps et de l’écoute. Les questions s’inventent au fur et à mesure, je m’accorde la liberté de certains glissements, je suis à l’affût de la sensation du moment, de mes perceptions, de l’intuition.

Les invités sont avant tout des visages et des corps, à l’instar des acteurs, fussent-ils non professionnels, du cinéma néoréaliste italien aux films de Pialat. Je vais peut-être mettre en avant cet aspect qui leur appartient en propre. Je ne les considère surtout pas comme amateurs. Le boucher que j’invite n’est pas un amateur, il est boucher sur scène. C’est une question d’accent, mais ce n’est pas pareil ! Je convoque chacune de ces personnes à un endroit précis. Cette question du dépassement des compétences m’intéresse.

Dans cette perspective, je pourrais dire que Pour une thèse vivante est une archive de soi, constituée de fragments des pièces de répertoire, mais aussi d’une recherche de visages. Les mots interprètes ou encore interviews ne disent pas assez l’intensité de ces rencontres, je préfère parler de visages – visages liés à des savoir-faire.

Interview de Claudia Triozzi avec Gianna Serra, actrice de cinéma
Avanti tutta (Pour une thèse vivante)
, 3e épisode, presenté à la Ménagerie de Verre en  2014

J’ai dit non

          Gianna : Mais moi, j’ai essayé de faire de mon mieux, la seule
          chose q
ui me désole, c’est que ce travail, je ne l’ai jamais vraiment
          pris a
u sérieux, voilà. Je l’ai fait par-dessus la jambe.

          Claudia : Comment ça ? tu me disais que…
          Gianna : En disant plein de « non », j’ai dit tellement de « non ».
          J’ai dit non à Fellini, j’ai dit non à Garinei et à Giovannini. Hélas, à
          lui aussi. Mais j’ai dit tellement « non ».

          Claudia : Et pourquoi tous ces « non » ?
          Gianna : Parce que… j’ai privilégié ma vie privée plutôt que les
          tournages.

          Claudia : Ta vie privée… mais, tu as fondé une famille ?
          Gianna : Non, je ne me suis pas mariée, mais même si tu ne passes
          pas devant le prêtre, tu peux avoir une vie sentimentale.

          Claudia : Non, c’est vrai, mais je veux dire, parfois, on… fait des
          enfants, on fonde une famille…
          Gianna : Non, je n’ai pas d’enfants, mais bon, ma vie sentimentale
          est passée avant le cinéma.

          Claudia : C’est vrai ? Vraiment ?
          Gianna : Oui. Tu me peux me croire. J’ai dit tellement de « non ».

          Claudia : Et après tu l’as regretté, non, non ?
          Gianna : Non, ça s’est fait comme ça et… ça devait se passer
          comme ça.

          Claudia : Tu as dit « non » parce que tu vivais des choses
          importantes.
          Gianna : Bien sûr. Rien ne justifiait de laisser tomber une chose qui
          me donnait tellement de joie.


Un Consiglio

          Claudia : Alors que me donnerais-tu comme conseil ? Une femme
          qui ne fait pas de cinéma mais qui fait de la scène et qui a déjà un
          certain âge. C’est moi, cette femme !
          Gianna : À toi ? Mais tu joues encore à la marelle !

          Claudia : Comment ça, je joue à la marelle ?
          Gianna : Mais tu es une petite fille, toi !

          Claudia : Moi, une petite fille ?
          Gianna : Eh oui, tu joues encore à la marelle.

          Claudia : Oui ?
          Gianna : Non. Moi, en revanche. Non, écoute, moi, d’après ce que
          j’ai pu comprendre, tu es une jeune fille très douée. Heu… tu dois
          avoir les idées très claires et tu dois avoir, heu… quelqu’un qui te
          finance parce que sinon, où tu vas ? Non ?  Et ensuite, je pense
          que tu es pleine de ressources, et « vouloir, c’est pouvoir ».
          Et puis, écoute, ceci vaut pour tout le show-business : dans ce
          travail, il faut de la chance, de la chance et de la chance. Parce que
          2 +2 =8… Dans ce métier 2 +2 =8, ce n’est pas l’industrie ni la
          banque. La chance, se trouver au bon endroit avec la bonne
          personne.

          Claudia : 2 + 2 = 8 dans le sens que ça ne fait pas 4 ?

Ce type de recherche croise régulièrement mes pièces, c’est la façon la plus directe que j’ai trouvée de construire une relation à l’autre, d’aller vers lui et d’envisager qu’il puisse être partie prenante de mon travail artistique. À partir de ce moment-là, on ne parle plus de soli, mais de personnes qui m’accompagnent. Lancé à leur recherche, mon corps devient performatif même en dehors de la scène. Ce n’est pas toujours simple. Il en va pourtant d’une énergie, d’un désir à la fois intellectuel, cérébral, mais aussi profondément intégré au corps. Cela tient de la nécessité. Tous ces gestes qui préparent la rencontre tout en restant en dehors du plateau sont essentiels, même si, apparemment, ils s’éloignent de l’acte artistique. Je suis moi-même engagée dans une dynamique de dépassement de compétences, je me mets dans un endroit à partir duquel je peux atteindre ces personnes.

SMARANDA OLCÈSE — La plupart de vos créations, et notamment les différents épisodes de Pour une thèse vivante, posent une relation forte entre la scène et son hors-champ, la vie quotidienne. Qu’en est-il de cette dialectique intérieur/extérieur à l’œuvre dans vos pièces ?

CLAUDIA TRIOZZI — Aller vers, c’est aussi s’échapper. Agir en dehors du plateau de danse permet aussi de décliner l’obligation de construire quelque chose qui ne serait pas tout à fait lié à la réalité. Il s’agit de se confronter à la vie, de montrer que ces histoires d’expériences que je vais chercher comptent, qu’elles ne sont pas anodines, qu’elles ne sont pas si communes que ça, qu’elles recèlent chacune quelque chose d’unique et de singulier, d’important.

SMARANDA OLCÈSE — Votre prochaine création, dont le titre de travail est Habiter pour créer, va s’articuler autour de la question de construire un lieu pour soi.

CLAUDIA TRIOZZI — Effectivement ! Un lieu dans ses dimensions physiques, architecturales, artistiques et pédagogiques, proche de ce que je suis à ce moment donné. J’ai appris à identifier ce qui ferait progresser le travail, le mien comme celui des autres. Car dans le désir de ce lieu, l’aspect de l’invitation est essentiel. Produire, certes, mais aussi ouvrir à la recherche. Ouvrir également ma façon de penser. J’imagine un lieu avec des jeunes personnes qui puissent expérimenter une multiplicité d’aptitudes à soi – réaliser qu’on peut y accéder avec plus ou moins de peine, selon les endroits. Le dépassement des compétences se traduit aussi par cette aptitude à soi. Il va s’agir de développer un maximum de potentialités. Aller vers soi, c’est expérimenter les possibles pour choisir ensuite l’endroit de notre action. Il est essentiel de laisser du jeu, de permettre que tout cela soit mouvant.

Aujourd’hui, j’ai le désir d’un lieu. Habiter pour créer me conduit sur d’autres territoires. L’expérience artistique et pédagogique a peut-être besoin de se renouveler. J’ai besoin d’aller ailleurs, de chercher d’autres énergies, d’autres formes de communauté, d’autres corps, d’autres espaces, d’autres climats, d’autres modes de vie.

SMARANDA OLCÈSE — Quel sens peut prendre le syntagme communauté, dans ce contexte particulier ?

CLAUDIA TRIOZZI — Le terme communauté me fait effectivement peur. Je l’entends uniquement dans le sens de son inscription et son ouverture à d’autres espaces de recherche.

La pédagogie liée à l’enfance, pour prendre un exemple, a commencé à m’intéresser suite à cette expérience faite au Maroc avec des enfants dans une oasis. Nous avons partagé des moments de folie, de dépassement de soi incroyables. La pédagogie entendue dans le sens, non pas de l’impératif de bien faire, mais d’acceptation de ses propres énergies – il s’agit d’en jouer, et non pas de les éduquer –, c’est à cet endroit précis que se situe pour moi l’acte pédagogique. On ne peut pas freiner les énergies indéfiniment, mais les comprendre : qu’est-ce que cette énergie ? Quel est son point d’épuisement ? Observer comment on peut être engagé ensemble dans la même action, tout en dégageant ses propres énergies. Le fait d’inviter des personnes que je ne connais pas me permet aussi d’observer, j’apprends toujours, je ne suis plus au premier plan, je peux me retirer et observer. Au Maroc, j’ai transmis à Safa, la personne en charge du groupe d’enfants, des exercices, et je me suis tout de suite retirée derrière ma caméra. J’ai filmé en caméra subjective, car ce qui m’intéressait était de capter quelque chose de cette transmission de pédagogie.

L’enjeu est, une fois de plus, de remettre en question les hiérarchies. Les enfants ne sont pas encore formatés. J’aimerais qu’ils soient présents dans les espaces où des adultes sont en train de chercher. Imaginer des actions où adultes et enfants agissent ensemble serait passionnant. Mon expérience m’amène au désir d’avoir un lieu et de porter son projet. Aller vers des personnes qui n’ont pas fait l’expérience d’un lieu d’art ou de danse… Sortir des sentiers d’une pédagogie institutionnelle, s’engager dans une pédagogie de recherche.

SMARANDA OLCÈSE — Vous imaginez, parallèlement à Habiter pour créer, son corollaire : Un CCN  en terre et paille. De quelle manière cette nouvelle création s’inscrit-elle dans la continuité de Pour une thèse vivante ?

CLAUDIA TRIOZZI — Un CCN en terre et paille est un manifeste, à l’image de Pour une thèse vivante, dont la matière s’enrichit progressivement. L’enseignement, la réflexion, la recherche, je voudrais désormais les partager, les mettre en jeu de manière pratique, extrêmement concrète, dans la construction même de ce lieu. Ce nouvel épisode est un manifeste concret. Il y a des syntagmes qui se formulent avant l’objet. Ce titre s’est imposé à moi suite à l’invitation au sud du Maroc, où se pratique encore la construction des habitations en terre et paille. Il y a certes une dimension écologique, mais ce n’est pas ce qui prime. Il s’agit de s’opposer au béton, bien sûr, mais pour affirmer un refus de l’institutionnel.

SMARANDA OLCÈSE — Lors des épisodes antérieurs de Pour une thèse vivante, les invitations se faisaient pour la scène. Un CCN en terre et paille resitue la rencontre à l’extérieur, dans la ville. Pouvons-nous évoquer la matérialité de ce nouveau geste artistique ?

CLAUDIA TRIOZZI — L’invitation serait de participer concrètement, littéralement à cette construction. J’imagine ce CCN en terre et paille dans un contexte proche de celui de jardins partagés, dans les fissures, dans les interstices du tissu urbain, même s’il s’agira seulement de construire un espace de 20 mètres carrés. Ce serait un lieu pour expérimenter, pour lancer des invitations à des jeunes danseurs et artistes. Nous allons le bâtir ensemble, par nous-mêmes, car ce type de construction est à la portée de nos mains, ne demande pas de savoir-faire spécifiques.

SMARANDA OLCÈSE — Le Japon, le Brésil, le Maroc semblent être autant de sources d’inspiration pour la conduite de ce projet. Que traquez-vous dans chacune de ces expériences, en tant que réflexion sur les matériaux, sur les espaces et les modes d’habiter ?

CLAUDIA TRIOZZI — Au Japon, j’aime bien la relation du corps avec des espaces très réduits, j’aime bien les matériaux, j’aime bien le traitement de l’espace vide, de la lumière. Je souhaiterais que le CCN en terre et paille soit réfléchi avec un architecte japonais. Mon désir est d’aller dans les campagnes, dans des lieux où la construction en terre et paille se pratique depuis longtemps, et d’essayer de comprendre comment les gens y vivent. Tout un questionnement autour du corps, de l’habitat et du paysage est à l’œuvre.

SMARANDA OLCÈSE — Qu’en est-il du Maroc ? Revenons un instant sur vos expériences dans cette oasis au sud du pays ?

CLAUDIA TRIOZZI — Tout est parti d’une résidence d’artistes à Casablanca.

J’ai été invitée à descendre au sud du pays, dans une oasis. C’était l’occasion pour moi de découvrir ces régions éloignées de la côte que je trouve magnifiques : les portes du désert. Ce paysage, de par son dépouillement, m’a contrariée dans un premier temps : rien que des dunes, et puis ces maisons en terre et paille, rouges comme la terre dont elles sont faites. Ces maisons ont des patios ouverts vers le ciel – on peut être chez soi et regarder les étoiles ! La relation au climat et aux éléments est très directe, le corps y est exposé. Je suis passionnée par cette organisation de la vie domestique, par la place des animaux dans le quotidien. On vit avec les animaux, et cela me plaît énormément. J’ai déjà travaillé avec les animaux sur scène, il y a des connexions qui s’imposent. C’est une prise de conscience de la vie de ces gens chez eux, dans leur environnement. J’ai été touchée, surtout, par l’intelligence et la sobriété de cet habitat : très peu de choses, des maisons presque vides, des volumes épurés. J’ai observé des choses très belles : on peut faire un feu dans ces maisons car le toit est ouvert. Je me suis posé des questions sur les divers modes d’habiter un espace. Les énergies possibles sont très différentes. Cela ramène le corps en jeu.

À l’intérieur de cette oasis a lieu un festival auquel j’ai été invitée à participer, avec d’autres artistes contemporains. Cette expérience m’a permis de re-questionner l’inscription de l’art dans des lieux autres, en dehors de circuits institutionnels. C’est avant tout une question d’engagement et de sincérité par rapport aux conditions de travail. Cela touche directement à la problématique des espaces alternatifs et aux modalités de faire qui sont encore à imaginer ici, en France. Je ressens le besoin de voir concrètement comment l’acte artistique rencontre les réalités d’un lieu, son environnement. C’est une question des pratiques au quotidien.

J’ai proposé comme action, pendant ce festival, de donner des cours à des enfants. Safa, la personne en charge des enfants de l’oasis, était elle-même dans le désir de la rencontre. Elle a tout accepté de moi en bloc, et moi, j’ai tout accepté d’eux en bloc. Cette expérience a été très puissante : deux blocs qui se rencontrent, deux pauvretés qui se rencontrent, sans intermédiaire, sans limites. C’est une question de générosité, d’hospitalité, d’accueil et d’ouverture à l’autre. Faire avec ce qu’on a sous la main, avec de la terre, des enfants qui crient, qui ont des voix magnifiques. Je cherche ce genre d’énergie pour le CCN en terre et paille.

J’ai ressenti physiquement ce besoin d’être proche de gens qui n’ont presque rien. Au-delà de l’acte artistique, j’en ai besoin en tant que personne, peut-être pour recommencer un cycle, pour retrouver une nouvelle énergie, questionner à nouveau le soi et interroger un état de fait ici en France, cette rengaine qu’on répète à souhait : « Il y a beaucoup moins d’argent qu’avant ! » Cette phrase me donne envie d’aller vers la terre, là où il n’y a plus rien, où on vit dans un espace dépouillé. Retrouver l’essence ! Peut-être qu’aux sources du CCN en terre et paille il n’y a ni art, ni pédagogie, mais un désir intime de mon corps. Comme pour le premier épisode de Pour une thèse vivante, j’ai eu besoin de partager le plateau avec un âne. Je l’ai amené sur scène ! Son énergie m’était très importante artistiquement parlant, elle incarnait cette obstination qui crie « Je me débrouille ! » Aux origines de la dynamique de Pour une thèse vivante, il y a ce corps qui se déplace, suivant différents cycles. L’expérience du Maroc me permet de me dégager d’une manière de faire. Je cherche les écarts. J’ai besoin de me déplacer.

SMARANDA OLCÈSE — Quelles ouvertures cet écart permet-il d’envisager ?

CLAUDIA TRIOZZI — Il s’agit avant tout de faire fructifier cette dialectique extérieur/intérieur, ici/ailleurs, de faire autrement que les musées, les centres d’art, les théâtres. Quand on parle de création, on ne peut pas ne pas parler de l’espace, de sa propre vision de ce que c’est que bâtir un spectacle tout comme bâtir un lieu, on ne peut pas faire l’économie des questions : avec qui et comment ? Cela remet en jeu mon expérience, la renouvelle. Le sens de la création est le déplacement. J’ai besoin de cet écart. J’ai toujours aimé être en deçà ou au delà, même dans mes œuvres. Être en marge de quelque chose. Résister ! J’ai besoin, maintenant, que ce type de déplacement existentiel ne soit pas donné à voir seulement dans mes pièces, mais qu’il devienne aussi une expérience de vie et d’action artistique. Le CCN en terre et paille sera un lieu où j’organiserai mes écarts. Je vais provoquer des écarts très visibles, faire entendre que ma façon de créer est celle-là et que je peux la donner à voir même sans ma présence, en tant qu’action pédagogique. Très peu de gens ont compris l’endroit où je suis vraiment. Cela doit être entendu, pour pouvoir se transmettre. Nous ne sommes pas immortels. Pourquoi attendre ?
Je voudrais un lieu pour pouvoir également ouvrir ma curiosité à l’autre, être à la recherche d’une matière qui pourrait faire du sens pour moi, et cette matière ne se trouve pas que sur la scène.

SMARANDA OLCÈSE — Parlons de cet autre type de créativité. Le terme assemblage revenait souvent pour spécifier l’une des modalités de différents épisodes de Pour une thèse vivante. Attardons-nous un instant sur ces assemblages qui font du sens dans ces nouvelles expériences.
 

CLAUDIA TRIOZZI — Quand on est dans une quête, on voit. C’est l’essence de la création : je suis en quête, je tente de voir et je vois. Au Maroc, j’ai rencontré des personnes qui excellent dans l’art vernaculaire d’assembler des objets. On pourrait même dégager de leurs actes une pensée philosophique, une vision du monde. Par exemple, cette photo : un vieux monsieur, dans une médina, vend ses outils de fin de chantier et il les assemble d’une certaine façon – c’est précis, ça a trait à l’équilibre des objets entre eux, aux directions dans l’espace, à un savoir-faire proche de celui qui est lié à l’exposition d’objets d’art. Cette photo est aussi un résumé de fin de chantier, fait signe vers tout un processus qui l’a précédée : la construction, le devenir du chantier, désormais achevé, ces outils usés, presque rien, tout est amené au terme, épuisé. Il s’agit de pousser l’objet jusqu’à sa disparition, dans un certain sens. Peut-être est-ce même la fin d’une vie de travail.
Prenons cette autre photo  : faire d’un lit à une place un lit à deux places, souder la ferraille pour que la structure puisse accueillir un matelas double. Il y a des tas d’histoires qui se mêlent à cet objet. Ces processus artisanaux mobilisent autant l’imaginaire que l’art du fer et de la soudure. Il y a beaucoup d’humour, aussi ! Cet objet incongru devient un lieu d’écriture, un embrayeur de fictions.

SMARANDA OLCÈSE — Qu’est-ce qui vous intéresse, dans ces gestes : une proximité avec les matières, avec les objets, une disposition imaginaire ?

CLAUDIA TRIOZZI — C’est surtout cette proximité entre le penser et le faire qui me passionne. C’est un acte artistique, cela implique un processus et marque un écart envers des habitudes consuméristes. Il y a beaucoup d’inventivité, de poésie à l’œuvre, dans la construction de cet objet quotidien. Je suis touchée par cette capacité particulière de se connecter à l’objet. Cela me ramène à la façon dont j’envisage mes pièces, à cette fragilité toujours à l’œuvre dans ma manière de performer, d’aller dans les limites. Cela rejoint le dépassement des compétences. Ce vieux monsieur passe inconsciemment dans le domaine artistique, son geste fait écho à des courants de l’histoire de l’art, entretient une parenté avec les surréalistes ou les créateurs d’art brut. Le Maroc, de par sa situation socio-économique, est encore riche de ces savoir-faire, et je ne le dis pas avec une nuance de nostalgie ou sous l’emprise d’un quelconque d’exotisme.

SMARANDA OLCÈSE — Pour revenir à Un CCN en terre et paille, quelle sera sa relation avec le régime de la représentation que les autres épisodes de Pour une thèse vivante bousculent déjà, chacun à leur manière ?

CLAUDIA TRIOZZI — La construction du CCN en terre et paille sera filmée. Il est important de documenter les différentes étapes de la progression, en commençant par la maquette. Le défi de la thèse, cette fois, sera de construire le CCN, un manifeste concret dans l’espace public. À l’intérieur de ce bâtiment, j’inviterai un artiste, un point c’est tout. Une personne qui fait sens pour moi, qui fait masse. Un invité pour un lieu. Dans la ville, sur un terrain vague, dans les interstices.

SMARANDA OLCÈSE — Quelle signification prend ce geste de déplacement radical, dans votre parcours ?

CLAUDIA TRIOZZI — C’est un passage. C’est un geste qui fait signe dans le réel, qui s’inscrit dans une temporalité autre, un chantier qu’il faudra documenter. Nous allons peut-être inviter des spectateurs à prendre part ou à assister à différentes étapes de la construction, aux côtés des danseurs et des artistes. Cet épisode de Pour une thèse vivante va épouser cette temporalité longue ; et puis le travail physique peut aussi être spectaculaire – on pourra convoquer un public. Ouvrir le chantier à des invitations. La problématique de la survie sera présente tout au long du processus. Depuis le début, j’avais ce désir de travailler sur une forme qui évoque la menace imminente, la nécessité, l’urgence. Cela posera en acte la question : qu’est ce que survivre à soi ? Il y a aussi un aspect symbolique et parodique qui permet de tisser une foule de liens. Et il y a l’acte d’hospitalité : ce lieu, je ne le construis pas pour moi.

En tant que manifeste, Un CCN en terre et paille témoigne d’une vision de l’art, de l’engagement, des usages du champ artistique. C’est aussi une provocation.

Encore une fois : évoquer, à ce stade, le projet est difficile. Je n’ai jamais parlé des pièces qui n’étaient pas encore là, cela n’existe pas pour moi, cela n’a aucun sens : ce sont des matières qui bougent, qui ont leur vie, qui tendent à se développer autrement que par les mots.