illegal_cinema #58

Séance proposée et animée par Virginie Bobin, coordinatrice des projets aux Laboratoires d'Aubervilliers et commissaire d'exposition indépendante

Henchman Glance
(Leo Hurwitz, Chris Marker, 31’, 2008)

Henchman GlanceHannah Arendt, Eichmann in Jerusalem. A Report on the Banality of Evil
Je n’ai pas vu Henchman Glance, film composé par Chris Marker à partir d’un montage alterné d’images du procès de l’officier Nazi Adolf Eichmann à Jérusalem en 1961, et de plans de Nuit et Brouillard, d’Alain Resnais (1956). Plus précisément, les images d’Eichmann furent tournées secrètement par Leo T. Hurwitz, réalisateur américain chargé de documenter le procès, alors que l’on projetait à l’accusé des films sur les camps de concentration et d’extermination, dont Nuit et Brouillard. Chris Marker, qui fut l’assistant d’Alain Resnais sur le tournage de Nuit et Brouillard, les a téléchargées sur Internet et recréé leur contre-champ en insérant des plans du film de Resnais.

J’ai découvert Henchman Glance à travers un texte de l’artiste Natascha Sadr Haghighian, publié dans Index Journal #0 (p.26-28). L’auteure y relate une étrange expérience: incapable d’affronter ces images, elle s’est mise à loucher de manière divergente, maintenant son regard à l’extérieur de l’écran. Elle tente d’analyser mathématiquement sa position de spectatrice pour désamorcer la perversion du regard induite par le montage, qui impose au regardeur de partager le point de vue physique d’Eichmann (incarnation de «la banalité du mal» chez Hannah Arendt) sur les images de Nuit et Brouillard.

Il y a quelques mois, lors d'Edition Spéciale #0, j’ai assisté à une présentation de Natascha Sadr Haghighian, durant laquelle – sans montrer le film – elle modélisait dans l’espace les différentes relations mises en œuvre par Henchman Glance pour tenter de faire émerger une modalité de vision collective ; tenter d’élaborer en commun un processus de cognition qui permettrait de dépasser le caractère paralysant – aveuglant – des images.

Henchman Glance peut-il être regardé comme un outil critique? La méthodologie du collage, qui confronte des «documents» fragmentés, de statut et d’époque disparates, contribue-t-elle à«l’émancipation» du spectateur? Peut-on renverser l’autorité d’un tel montage (et d’un tel titre, qui en jouant sur l’homophonie entre Heichmann et «henchman» (l’homme de main), suggère la complicité du spectateur par le prisme du regard partagé)? Impossible de répondre sans avoir vu le film, et pourtant je n’ose presque pas le regarder…


Illegal_cinema, dispositif de vision et de discussion collectif, m’a semblé le cadre adéquat pour regarder ensemble ce film, et s’interroger sur la responsabilité du spectateur témoin de telles images.



Entrée libre