Séminaire "Pratiques de soin et collectifs" - Rencontre #5
Jeudi 19 mai 2016, 19h



Rendre la ville habitable : vivre et errer dans la ville

 

James C. Scott décrit la Zomia, immense et poreuse région transfrontalière du sud-est asiatique, sans démarcation claire si ce n’est la géographie de son altitude par rapport au monde de la vallée, comme un refuge contre les formes d’administration étatiques. On ferait mieux de dire que la Zomia ignore les frontières administratives dans l’organisation plurielle de ses formes de vie sociale, dans son rapport à des milieux de vie qui sont autant de formes de conjuration de l’appareil d’Etat. Son insoumission va de pair avec la multiplicité des langues, de cultures et des pratiques religieuses. Elle est depuis plus de deux mille ans le lieu d’accueil et d’installation de fuyards et des refondations de nouvelles communautés.

Si quelque chose caractérise la métropole d’aujourd’hui c’est bien son hostilité à tous ceux qui font échec aux identifications policières, à ceux qui fuient, se déplacent, errent ou flânent en dehors des parcours balisés. La brutalité de l'administration policière à l’égard de l’événement inattendu, à l’égard de ceux qui sont traités comme des rebuts (Rroms, migrants, errants de toutes sortes mais aussi les « statiques » assignés à des espaces de relégation …) n’est plus à prouver. L’inhospitalité est le propre de la métropole lorsque tout ce qui compte est l’administration d’un espace valorisable, totalisable et hyper-connecté. Mais lorsque l’espace est total, que nous reste-t-il comme refuge ?

Des TAZ (zones d’autonomie temporaire), aux ZAD (zones à défendre), en passant, depuis la nuit des temps urbains, par les friches occupées, les maisons squattées, les jungles constituées au cours d’improbables rencontres, les interstices autonomisés, il faut tout faire pour empêcher que des lieux habités ne surgissent. Les polices de l’économie urbaine veillent à ne pas laisser émerger des lieux non-administrés.

On pourra dire alors avec Roberto Bianco, que pour rendre la ville habitable il faut recréer des zones grises. C’est le cas de La Petite Rockette cette « ressourcerie » parisienne dans laquelle se sont fabriquées, depuis son origine, des jeux savants entre la légalité et l’illégalité. Cette expérience nous sera présentée, depuis le squat des origines jusqu’au lieu financé d’aujourd’hui. Car la question que nous pose Roberto est la suivante : et s’il fallait aussi squatter les institutions ?

La question n’est donc peut-être pas celle du refus « radical » des institutions mais celle de l’administration dans son caractère totalisant qui ne tolère ni exception, ni interstices. C’est ici qu’il conviendra d’écouter avec attention la proposition que nous fait Sébastien Thiéry, co-fondateur avec Gilles Clément de PEROU (Pôle d’exploration des ressources urbaines), autour de ce qu’il revendique comme étant une politique de l’affirmation : processus d’exploration des nouvelles formes de vie communes, de savoir-faire, de techniques et de spéculations sur ce qui n’a pas encore eu lieu mais qui pourrait émerger comme une mise en commun de ressources et de formes de coopération.

Nous compterons donc avec la présence de Roberto Bianco, l’un des fondateurs de la Petite Rockette, café, atelier, hackerspace, « ressourcerie » tout à la fois et lieu de rencontres. Et aussi avec celle de Sébastien Thiéry, politologue, co-fondateur et coordinateur de PEROU, intervenant dans différents lieux et expériences urbaines avec des gens relégués par les politiques publiques.

Cette soirée sera la conclusion de notre cycle de rencontres. Elle sera aussi l’occasion de lancer une invitation pour la poursuite de ce travail collectif. Toujours aux Laboratoires d’Aubervilliers, des ateliers de travail devraient permettre de porter notre attention vers l’émergence de situations qui font exister de nouveaux modes d’existence de nos expériences.

Contre l’indignité, contre l’humiliation, contre la réduction à un statut de victimes assujetties aux dispositifs de gestion de la maladie, de l’anomalie, de la déviance supposée… ; et s’il s’agissait de retracer les contours pragmatiques d’une autonomie politique à chaque fois située ? Et d’en prendre soin. En prenant soin de dispositifs de fabrication d’expériences communes et de nouvelles formes de partage, il s’agira de contribuer à une politique que l’on pourrait appeler communaliste. Notre Zomia à nous.


Entrée libre sur réservation
à reservation@leslaboratoires.org ou au 01 53 56 15 90

photo : Xavier Ribas, Habitus n° 10.6, 2007

 

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